LA FONDATION DE DOMFRONT
La région qui s’appellera plus tard Domfrontais, ou plus largement Passais (de Passus, le pas, le passage, la région que l’on traverse) a connu un peuplement clairsemé aux temps protohistoriques. En témoignent quelques menhirs (Le Perron), dolmens (La Table au diable à Passais, le Lit de la Gione en forêt d’Andaine, …) et allées couvertes (La Bertinière à La Sauvagère). À l’époque celtique, elle était située aux confins septentrionaux du territoire de la peuplade gauloise des Aulerques Diablintes. L’implantation romaine y fut limitée, même si la voie romaine nord-sud qui reliait Vieux, capitale des Viducasses, à Jublains, capitale des Diablintes, la traversait.
L’évangélisation fut tardive. Ce n’est pas avant le VIe siècle que des missionnaires (saint Bômer, saint Fraimbault, saint Ernée, saint Auvieu, saint Ortaire, …), sans doute envoyés par les évêques du Mans, convertirent les habitants des villages primitifs ou, vivant en ermites dans les forêts, attirèrent les populations dans les premières clairières de défrichement. Ainsi se forma le maillage des paroisses. Celle de Saint-Front, très antérieure à Domfront, doit son nom à un de ces évangélisateurs, même si, par la suite, il fut confondu avec celui du Périgord.
La fondation de Domfront est due semble-t-il aux seigneurs de Bellême. Lignage apparu durant le Xe siècle, les Bellême avaient, entre la Normandie au Nord, le Maine et l’Anjou au sud, en rendant hommage aux uns et aux autres, comtes d’Anjou, Capétiens, ducs de Normandie, ? réussi à créer une seigneurie tampon qui s’étendait de Bellême à l’est à Domfront à l’ouest en passant par Alençon. Vers 1010, Guillaume Ier de Bellême, tant pour marquer sa présence et son autorité que pour mettre en valeur cette partie de ses domaines, installa des moines bénédictins à Lonlay (8 km au nord-ouest de Domfront) et fonda un château sur l’éperon qui domine la cluse de la Varenne. Ce château primitif devait être une simple enceinte en bois, avec une tour-porte peut-être maçonnée. Aucune trace archéologique n’en a été retrouvée, mais il est attesté par les textes. Attirées par la protection qu’offrait le château, des populations vinrent s’installer dans le prolongement de l’éperon, donnant naissance à la ville. Domfront est donc un bourg castral, né du château. Les Bellême créèrent pour lui et le château une paroisse particulière, enclavée dans le territoire de l’ancienne paroisse de Saint-Front. Jusqu’à la Révolution, Domfront (limité au tracé des remparts et à Notre-Dame-sur-l’Eau) et Saint-Front furent désormais deux paroisses distinctes.
GUILLAUME LE CONQUÉRANT
Entre 1048 et 1052 Geoffroy II Martel, comte d’Anjou, tenta de contrôler la région. Sa tentative provoqua la réplique de Guillaume le Bâtard, duc de Normandie (futur Conquérant), qui vint assiéger et prendre le château, confisqué de facto aux Bellême. La contrée, le Passais, fut annexée à la Normandie ; c’est la partie du duché qui est devenue le plus tardivement normande. Sur le plan religieux, elle continua à dépendre jusqu’à la révolution de l’évêché du Mans.
HENRI Ier BEAUCLERC, SEIGNEUR DE DOMFRONT
En 1087, à la mort du Conquérant, Robert II de Bellême chassa la garnison ducale et reprit le château. Ordéric Vital, chroniqueur partial, le décrit comme un tyran. Il semble que la population de Domfront se révolta contre lui en 1092, et se donna à Henri, 3e fils de Guillaume le Conquérant, qui n’avait pas reçu de domaines lors de la succession de son père. Ce fut l’origine de la fortune de Domfront au XIIe siècle et au delà, car peu de temps après, en 1100, à la mort de son frère Guillaume le Roux, Henri Beauclerc devint roi d’Angleterre, puis duc de Normandie en 1106 après sa victoire contre son autre frère Robert Courteheuse à la bataille de Tinchebray, non loin de Domfront. Il avait ainsi reconstitué le domaine de son père.
Dès lors, le seigneur de Domfront n’était autre que le duc-roi. Puissant et riche, il remodela complètement le château, agrandit son enceinte et fit construire, peut-être vers 1120, l’énorme donjon dont il reste encore des vestiges. Ce fut également une période de prospérité pour l’abbaye de Lonlay, qui reconstruisit son église abbatiale (il subsiste de cette époque le transept et ses intéressantes séries de chapiteaux), et ses prieurés : Saint-Michel de Goult, et surtout à Domfront Saint-Symphorien, situé dans l’enceinte du château, et Notre-Dame-sur-l’Eau, en contrebas de l’éperon.
LES PLANTAGENÊT
Après sa mort, en 1135, ses possessions furent disputées entre Etienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant par sa mère, et sa fille Mathilde, veuve de l’empereur Henri V, d’où son surnom d’Emperesse, remariée à Geoffroy V Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine. Celui-ci conquit assez rapidement le Domfrontais, puis plus difficilement l’ensemble de la Normandie. Un compromis fut trouvé avec Etienne, qui conserva le trône d’Angleterre sa vie durant, à condition de reconnaître le Plantagenêt comme héritier. Geoffroy mourut en 1152, et c’est son fils Henri qui recueillit la couronne d’Angleterre à la mort d’Etienne, en 1154. Il avait épousé la duchesse d’Aquitaine Aliénor, divorcée du roi de France Louis VII : le couple possédait donc un vaste ensemble territorial qui s’étendait des frontières de l’Ecosse aux Pyrénées. De plus, il contrôlait indirectement la Bretagne dont l’héritière, Constance, épousa leur troisième fils, Geoffroy, et dont elle eut un fils, Arthur.
Situé au milieu de cet ensemble que l’on appelle « l’empire plantagenêt », le château de Domfront était une étape pour ces grands personnages perpétuellement en mouvement. Plusieurs séjours des souverains anglo-normands sont attestés. En 1161, une de leurs filles, également prénommée Aliénor, y fut baptisée (mariée plus tard au roi de Castille Alphonse VIII, elle eut elle-même pour fille Blanche de Castille : la grand-mère de saint Louis est donc née à Domfront). En août 1169, Henri II y reçut des légats du Pape chargés de le réconcilier avec Thomas Becket, mais l’entrevue fut un échec.
Richard Coeur-de-Lion succéda à son père en 1189. Sa présence à Domfront est attestée à plusieurs reprises. Après sa mort en 1199, son frère Jean-sans-Terre monta sur le trône et élimina son neveu Arthur de Bretagne. Sommé de comparaître à la cour du roi de France Philippe Auguste, dont il était le vassal pour ses fiefs continentaux, il refusa, Le conflit s’annonçait ; il renforça les défenses de ses châteaux, dont celui de Domfront, ce qui n’empêcha pas le roi de France de lui prendre tous ses domaines situés au nord de la Loire, y compris donc la Normandie et Domfront, en 1204.
DE PHILIPPE AUGUSTE À LA GUERRE DE CENT ANS
Le roi donna Domfront à son ami et vassal Renaud de Dammartin, mais celui-ci le trahit au profit de Jean-sans-Terre dès 1211. Philippe Auguste vint alors en personne assiéger et reprendre Domfront, qu’il donna à son fils Philippe Hurepel. Celui-ci fonda le village de l’Epinay, au sud-ouest de Domfront. Il mourut en 1234, et sa fille Jeanne, épouse de Gaucher de Châtillon, hérita ses domaines. Le couple disparut en 1250-1251 sans laisser d’héritier. Domfront retourna alors au domaine royal.
En 1256, au retour d’un pèlerinage au Mont-Saint-Michel, saint Louis passa à Domfront. Quelques années plus tard, en 1269, il donna Domfront à son neveu Robert II, comte d’Artois, afin de constituer un douaire pour son épouse. Robert II vint plusieurs fois à Domfront ; en son absence un bailli administrait le domaine. De nombreux documents subsistent pour cette période, qui est particulièrement bien connue des historiens locaux.
A sa mort, en 1302, sa fille Mahaut et son petit-fils Robert (III), les protagonistes des Rois Maudits, se disputèrent son héritage. Robert n’obtint pas l’Artois, mais il reçut les autres domaines de Robert II et il fut donc seigneur de Domfront de 1309 à 1331. Ayant fait faire de faux documents pour étayer sa revendication sur l’Artois, il dut fuir le royaume et ses domaines furent confisqués par le roi Philippe VI. La châtellenie de Domfront devint alors une petite vicomté, regroupant 40 paroisses, qui dépendait alors du bailliage de Cotentin.
En 1342, celui-ci fit don de Domfront à son neveu et filleul Philippe d’Alençon. Peu de temps après, la vicomté fut officiellement incorporée au comté (puis duché en 1404) d’Alençon.
DOMFRONT DANS LA GUERRE DE CENT ANS
Si la ville et son château ont été épargnés lors de la chevauchée d’Edouard III en 1346, ils furent pris en novembre 1356 par une troupe composée d’Anglais (les routiers de Robert Knolles) et de partisans normands de Charles de Navarre, dit le Mauvais, cousin du roi de France, comte d’Evreux et de Mortain. Malgré le traité de Brétigny (1360). Il fallut attendre 1366 et payer les Anglais pour qu’ils consentent à évacuer le château.
Après avoir écrasé l’armée française à Azincourt en octobre 1415, le roi d’Angleterre Henri V put facilement entreprendre la conquête systématique de la Normandie à partir de 1417. Les Anglais commencèrent le siège du château en novembre, et la garnison du duc d’Alençon céda la place le 22 juillet : ce fut un des plus longs sièges de la campagne avec celui de Rouen. Les occupants nommèrent de nouveaux officiers pour administrer la contrée et une forte garnison occupa le château, lequel servit de base arrière aux troupes anglaises qui se battaient dans la Maine, plus au sud, sur ce qu’on appelle « la barrière de la guerre ». De nombreux documents subsistent de cette période. Les Anglais restèrent jusqu’à l’extrême fin à Domfront. Ils rendirent la place le 2 août 1450, 15 jours avant Cherbourg, l’avant-dernière place reprise par l’armée du roi de France Charles VII.
FIN DU MOYEN-ÂGE ET ÉPOQUE MODERNE
Avec la fin de la guerre de Cent Ans, Domfront cessa de jouer un rôle majeur. La ville souffrit toutefois des troubles à la fin du moyen-âge, puis à l’époque moderne. En 1466-1467, Jean II, duc d’Alençon fit partie de la ligue des princes révoltés contre Louis XI lors de ce qui fut appelé La Guerre du Bien public. La ville et la région furent ravagées par les troupes du duc de Bretagne, son allié pourtant, qui occupaient le château. Plus tard, Domfront subit les guerres de religion. Les protestants pillèrent l’église Notre-Dame-sur-l’Eau et occupèrent un temps le château. En mai 1574, le chef protestant Gabriel de Montgomery y fut capturé après un siège de quelques jours par l’armée catholique et royale du maréchal de Matignon ; il fut exécuté quelques jours plus tard à Paris. Quelques années après, les ligueurs opposés à Henri IV occupaient la place. Vulnérable, sauf à y entretenir une coûteuse garnison, susceptible de servir de refuge à diverses bandes d’opposants ou de brigands, la forteresse était devenue inutile. Elle fut démantelée en 1610 suite à un ordre de Sully, ministre de Henri IV, daté du 21 juin 1608. Les bourgeois récupérèrent les pierres sur les pans de murs ruinés par les explosions et installèrent des jardins potagers à l’intérieur de l’enceinte.
En ville, le fait le plus notable fut la création d’un collège, en 1689, sur la « Grande Brière », le sommet de la crête situé à l’est des remparts de la cité médiévale. Les Eudistes en prirent la direction en 1727. La chapelle fut construite de 1730 à 1732. Les incidents dus aux collégiens défrayèrent souvent la chronique locale. En 1788, Louis XVI en personne en fut informé, et le collège fut menacé de fermeture !
ÉPISODES RÉVOLUTIONNAIRES et POST-RÉVOLUTIONNAIRES
Pendant la révolution, Domfront fut plutôt « bleue », révolutionnaire, mais sans excès. Les religieux ayant refusé de prêter le serment constitutionnel, ils furent expulsés et le collège fut fermé (1792). La région fut toutefois une terre de chouannerie active, et les bandes dirigées par Louis de Frotté mirent longtemps en échec les forces gouvernementales. Frotté fut finalement arrêté malgré un sauf-conduit alors qu’il se rendait à des pourparlers, et exécuté sur ordre de Bonaparte, en 1800.
Quand furent créés les départements, la délimitation entre l’Orne et la Mayenne fut très compliquée, du fait que l’ancien Passais était originellement dans le Maine. Aux limites sud de la vicomté, de nombreuses paroisses, dites « mixtes », étaient à cheval sur la Normandie et le Maine. Il fallut attendre parfois jusqu’aux années 1840 avant que tous les cas soient réglés. Certaines communes (anciennes paroisses) de l’ex-vicomté furent entièrement placées dans la Mayenne (Lesbois, Le Housseau, …), d’autres dans l’Orne (Céaucé, Saint-Fraimbault), d’autres encore furent partagées (Vaucé). C’est également à cette époque que la paroisse de Saint-Front fut réunie à celle de Domfront pour former l’unique commune de Domfront.
En 1836, malgré les protestations de Prosper Mérimée, premier inspecteur des Monuments Historiques, les 4 travées occidentales de la nef de Notre-Dame-sur-l’Eau (qui en comptait 6) et les bas-côtés furent abattus pour élargir la route. En compensation, si on peut dire, l’édifice fut classé Monument Historique dès 1846 (première liste des M.H.). Il a bénéficié depuis de nombreux travaux de restauration et d’entretien, et ce jusqu’à ces dernières années.
L’ÉPOQUE CONTEMPORAINEPetite ville de services (sous-préfecture [jusqu’en 1926], hommes de loi, …), animée par de grandes foires et autres comices agricoles très fréquentés, le sort de Domfront à l’époque moderne n’offre rien d’original. Elle fut toutefois une des toutes premières villes de France dont l’éclairage public était électrique (1885), et on venait de fort loin admirer ce progrès. À la séparation de l’Église et de l’État, la chapelle du collège fut désaffectée, puis transformée en théâtre municipal. En 1926, une nouvelle église Saint-Julien à l’architecture révolutionnaire pour l’époque et construite en béton, due à l’architecte Guilbert, remplaça la précédente dans la vieille ville. Comme la France entière, la petite ville a souffert de l’occupation : restrictions, arrestations d’otages et de résistants. Le 14 juin 1944, Domfront fut sévèrement bombardée par l’aviation américaine : le quartier de la gare, près de l’hôpital et de Notre-Dame sur l’Eau, le « grand carrefour » et la rue des Barbacannes, au pied des remparts furent particulièrement touchés. Le haut de ville fut heureusement épargné, sauf exception (nord de la place Saint-Julien, place du Panorama). Les troupes américaines arrivèrent le 14 août. Malgré l’implantation d’industries (machines à bois LUREM, fromages PRESIDENT, MOULINEX, …) la petite ville souffre de son isolement à la fin du XXe siècle. La crise industrielle lui fait perdre de nombreux emplois à partir des années 1990. Moulinex ferme ; plus récemment Lurem … Valoriser son site, promouvoir son histoire, développer un tourisme « vert » sont plus que jamais une des clés de son avenir. |